dimanche, 02 novembre, 2008
[Manger]
Manger - Les menus: matin, midi, soir - L'eau - Les distributions - Le rationnement - Les partages - La qualité et la quantité - Cuisiner : popotes, choubinettes / cubilos, combustibles - Cultiver, récolter - Chasse au petit gibier - Festins.
La Choubinette
Ont permis l'évocation du souvenir de la "choubinette", les
- Col.BEM A. Baudry, Col.BEM F.Bouko, Gén-Maj. A .Broekmans,
- Cdt. M. Chevalier, Col. J. Dargent, Cdt. R. Doulier,
- Méd-Col G. Herbiet, Cdt. S. Herelixka, Col. P. Hermant,
- Cdt. P. Léon (+), Col.BEM R. Pappens, Cdt. R. Pirson
- et Méd-Lt-Col. R. Vallée
Qu'est-ce qu'une "choubinette" ? Ce fut au cours de la guerre 1939 - 1945, dans les camps de prisonniers, un réchaud à combustion lente, bricolé à partir de matériaux divers, mais principalement de boîtes à conserve.Il brûlait de petits morceaux de bois, de carton, des boulettes de papier.
Pourquoi "choubinette" ? Selon certains de nos correspondants, Choubin serait le nom du prisonnier français inventeur de cet appareil de chauffage.Selon d'autres sources, Schubin est le nom du camp où la choubinette aurait vu le jour.Peut-être aurons-nous, plus tard, une mise au point ? En attendant, tout le monde semble d'accord pour reconnaître à la choubinette une origine française.
Très tôt, les prisonniers de guerre ont cherché à "corser" leur régime alimentaire.Faire chauffer de l'eau, réchauffer une soupe "améliorée", cuisiner un plat modeste furent les premières prétentions.Il y eut des camps paraît-il, où l'on disposait de moyens très suffisant.Dans la plupart d'entre eux, c'était plutôt pauvre.Au camp de Prenzlau, il y avait un réchaud à gaz à quatre becs par étage; il fallait prendre son tour et patienter.D'autres camps n'avaient même pas cela.
Les premières réalisations s'inspirèrent des appareils de chauffage... dirons-nous "classiques" ou "traditionnels"; un combustible sur une grille aérée par le dessous, le tout surmonté d'un reposoir pour la casserole, la gamelle ou la poêle.Il y eut, bien entendu, plus d'un modèle.Une boîte à conserve assez large était le matériau le mieux adapté.La grille pouvait être un fond de boîte percé de trous ou fabriquée au fil de fer entrecroisé.Le dessin A en représente un.Le bois en petits morceaux était le combustible le plus rentable. A défaut, on a utilisé du carton, même du carton bitumé - on n'a pas dû persévérer - ou des boulettes humides de papier journal, mais toujours avec moins de rendement et plus de fumée.
Ces engins, au début, ne s'appelaient pas "choubinette", on nous signale : "cubilot", ou "stoofke" et même "blower" par les Britanniques de la R.A.F., parce que pour en augmenter le tirage, on avait imaginé des souffleries à manivelle ou à soufflet.
Un correspondant nous rappelle l'existence d'un chauffe-eau électrique qu'il baptise "choubinette", mais ce doit être une confusion. Raccordant deux fils électriques à une prise, l'on fixait l'un des fils à une boîte métallique contenant l'eau. L'autre fil aboutissait à une lamelle de métal emmanchée à une pièce de bois assez longue. Plongeant cette électrode rudimentaire dans l'eau, on amenait assez rapidement celle-ci à ébullition, en provoquant sur le réseau une baisse de tension appréciable. D'autres préféraient employer deux électrodes. Le système n'était pas sans danger, mais, cependant, fut utilisé pendant toute la captivité, même lorsque tous les autres appareils eurent disparus, après l'apparition "sur le marché", en 1942, de ce qui, dans le souvenir des prisonniers de guerre, allait rester "la" choubinette.
L'inventeur de la choubinette a-t-il redécouvert ou s'est-il rappelé qu'un combustible qui se consume lentement dans une atmosphère pauvre en oxygène produit un gaz inflammable analogue au gaz de bille ? Si l'on enflamme un combustible au fond d'une boîte dont seul le couvercle est enlevé, on va raréfier l'air au point que le combustible va rougeoyer sans flammes et produire un maximum de gaz.
Le mérite de l'inventeur fut d'avoir pu, à partir des matériaux minables dont il disposait, réaliser un appareil capable d'exploiter cette particularité. Le dessin B essaye de donner une idée du principe de la choubinette. Deux gaines concentriques, l'intérieure produisant le gaz, l'extérieure amenant l'air chaud à la hauteur des orifices pratiqués dans le haut de la gaine intérieure et faisant office de brûleurs.
Des problèmes se posaient : - la fixation des deux gaines l'une à l'autre pour maintenir un intervalle constant; - la possibilité de placer un récipient au-dessus des brûleurs tout en permettant l'alimentation en combustible qui ne pouvait se faire que par le haut; - la stabilité de l'ensemble.
Il y eut évidemment plusieurs types de choubinettes. Cela dépendait des matériaux et des outils dont on disposait, de l'imagination et de l'habilité manuelle du monteur. Les matériaux ? Pour les gaines, les boîtes à conserves rondes. Le général Broekmans semble avoir gardé un excellent souvenir des boîtes de petits pois "Marie Thumas" de 400 et 850 grammes. Pour les "portes-plats", tout ce que l'on pouvait récupérer comme boîtes métalliques, fil de fer, morceaux de fer.
Le combustible ? Toujours le bois débité en petits morceaux, le carton, les boulettes de papier journal trempé et mises à sécher. Le bois était le meilleur, mais il n'abondait pas. Alors, on eut recours aux planches qui tenaient lieu de sommier aux lits. Une planche sur deux pouvait disparaître, certains poussèrent les prélèvements à un point parfois dangereux pour le copain du dessous : Un colonel d'artillerie trouva qu'une armoire placée contre un mur pouvait se passer de fonds, et que les planches de rangement étaient inutiles quand on n'avait plus rien à ranger. Il y eut même des portes qui disparurent.
Tous les modèles n'étaient pas parfaits, certains utilisateurs étaient chauffeurs médiocres. Et les choubinettes s'étaient multipliées comme les pains et les poissons des Evangiles. Beaucoup de ces appareils qui auraient dû émettre une flamme bleue et claire, accompagnaient la combustion d'une fumée abondante.
Le dessin C reproduit, tant bien que mal, un modèle que l'on pourrait dire "de luxe". Le "pied" est une boîte à biscuits en fer blanc, percée de façon à permettre une abondante arrivée d'air. Les deux gaines sont constituées de boîtes à conserve rondes fixées bout à bout et sur le pied par torsion des bords et martelage. Une grille et une clef d'aérage sont placées par un procédé analogue dans le bas de la gaine intérieure. La clef permet d'allumer un feu normalement aéré, ce qui est plus facile, et de réduire progressivement l'arrivée d'air. Les trous percés dans le haut de la gaine intérieure sont les brûleurs. Le modèle ne comporte pas de "reposoir" pour le récipient de cuisson. Assez difficile à réaliser, ce dispositif compromettait l'équilibre et éloignait des brûleurs le fond du récipient. On en vit peu, la majorité des "choubineurs" préférant soulever le récipient pour pouvoir alimenter le feu.
La photo D montre, plutôt mal, un choubineur en action, c'est le choubineur inconnu. La photo nous a été adressée par le Médecin colonel e.r. G. Herblet qui la tenait de son père, le lieutenant de réserve Raymond Herbiet. Elle fut prise à l'Oflag X D - Fischbeck, mais le docteur Herbiet ignore le nom de "l'opérant". Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?
Les locaux aménagés en cuisines eurent leurs murs et leur plafond rapidement et copieusement noircis. Cela, et les "prélèvements" de bois, incitèrent les autorités détentrices à organiser la chasse aux choubinettes. Il est des accommodements avec le ciel, même quand il est feldgrau. Les prisonniers prirent l'habitude de réserver aux chasseurs les choubinettes ratées et hors d'usage. La vie de ces appareils était courte, le matériau de base était tellement léger.
Vers la fin de la captivité, à Prenzlau, certains de nos gardiens nous prièrent de les éclairer sur la fabrication et le fonctionnement de la choubinette. Eux aussi commençaient à manquer le combustible.
La documentation que nous avons reçue n'est pas épuisée. Il y aura des "souvenirs" et des précisions qui vous plairont. Et que vous pourriez peut-être animer de vos avis, critiques et considérations.
NDLR - Nous ne savions pas lorsque nous avons lancé l'idée de raviver le souvenir de la "choubinette" que le nom de cet ustensile avait déjà suscité un intérêt notoire dans les milieux universitaires.
Dans son article "l'Argot", le professeur P. Guiraud cite, en exemple, une enquête de M.A. Henry, professeur à l'Université de Gand, sur la langue parlée dans le camp de prisonniers où il était interné au cours de la dernière guerre - un camp d'officiers. En 1942, un prisonnier introduisit dans le camp un petit réchaud à combustion lente, fabriqué avec deux cylindres de tôle emboîtés l'un dans l'autre - par exemple deux boîtes de conserves - et percés de trous; il brûle des débris de bois, de carton, des boulettes de papier, etc. Il est facile à fabriquer avec des moyens de fortune, facile à entretenir et constitue l'instrument de cuisine idéal pour le prisonnier. On appelle une "choubinette", parce qu'il vient du camp de Schubin. Ainsi le mot avec la chose sont introduits dans le camp, nous allons maintenant les voir "vivre". D'abord "choubiner"; c'est se servir de la "choubinette", d'où "cuisiner" et aussi "faire brûler du papier dans le réchaud"; mais "choubiner" est un verbe transitif, c'est l'action de la "choubinette", d'où "brûler". De ces gens du verbe "choubiner" dérive une nombreuse famille : Choubinage, choubinaison qui désignent l'action de choubiner. Le choubineur est celui qui se sert d'une choubinette, celui aussi qui la fabrique d'où "choubine, choubinerie, choubinetterie" qui sont indifféremment soit la "cuisine", soit la "salle où on choubine", soit celle où l'on "fabrique des choubinettes". Un choubinard est un "mauvais choubineur", qui fait mal la cuisine; on a de même choubinade, "mauvaise cuisine", rechoubiner, "faire recuire" et le plaisant chouchoubins, "camarades qui font popote ensemble". La choubine désigne aussi le combustible. Telle est la famille de "choubinette", "réchaud à faire la cuisine". Mais un des caractères de la "choubinette", poële primitif sans échappement, est de produire de la fumée, d'où tout instrument produisant de la fumée, surtout si sa forme et sa fonction rappellent celles du récbaud, devient une "choubinette". Et d'abord les "pots à feu" émetteurs de fumée, utilisée par les Allemands pour le camouflage anti-aérien; mais aussi une "pipe", un poële, un "gazogène", puis une "auto", une "locomotive", une "marmite", une "cheminée d'usine" et par extension, une "salle enfumée", un "incendie". D'où choubinier, "qui allume les pots fumigènes", choubinard, "qui fait de la fumée"; choubinage, "émission de fumée", choubinerie, "ensemble des pots fumigènes de Hambourg". Enchoubiner c'est "remplir de fumée", cependant que Choubiner c'est "fumer" et en particulier "fumer la pipe", et ça choubine égale "ça fume", mais aussi, par dérivation synonymique " ça gaze, ça carbure". A ces gens premiers se rattachent des emplois métaphoriques. La "choubinette" c'est la "tête", image appuyée à la fois sur la forme de l'objet et sur celle du mot : "choubinette" rappelant "binette". D'où choubiner, "réfléchir", "penser" et en particulier "raisonner" de travers; c'est aussi "fumer", c'est-à-dire "se mettre en colère". D'où dérive choubineur, "celui qui se met en colère" et parfois un "discuteur"; choubinage est la "méditation", le "travail" et une choubinette un "type coléreux". Mais la "choubinette" est aussi le "ventre", "l'estomac", l'organe qui brûle et digère les aliments et choubiner c'est "digérer" et surtout "chier", "péter". Une "choubinette" est une "tinette" par la tripe association de la forme des deux objets, de celle des deux mots, et du sens spécial de choubiner.
Degré de civilisation
On ne peut juger du degré de civilisation d'un pays qu'en visitant ses prisons (Dostoïevski). - Certes, mais nos touristes se soucient-ils du degré de civilisation du pays dont ils fréquentent les plages?
Et Raymond Guérin (Les Poulpes, Gallimard, 1953, p.16) quant à lui, fait penser au Grand Dab: "Comme disait Einstein, on mesure le degré de civilisation d'un peuple à ce qu'il mange...".
C'était bien l'avis des prisonniers de guerre français, belges, polonais, anglais, américains lors de la 2ème guerre mondiale. C'était aussi l'opinion d'Astérix sur l'armée romaine. Et j'en passe... Mais j'ignore si la référence à Einstein est authentique.
Si vous voulez explorer la piste, cliquez par exemple sur:
- http://glazman.org/weblog/dotclear/index.php?2006/02/23/1567-glazou-law-wc
- http://jerpel.fr/spip.php?article28
- http://www.wouarf.com/blogtk/index.php?2005/11/29/171-je-vois-maintenant-la-sacralisation-des-animaux-en-inde-dun-oeil-beaucoup-plus-favorable
... ou bien sur un moteur de recherche avec les mots "degré civilisation". Il y a de quoi passer la soirée.
Edited on: dimanche, 09 novembre, 2008 7:35 AM
Categories: La Vie dans le Camp