« [Les Prisonniers] | Main | [Méditer] »
dimanche, 09 novembre, 2008
[Prisonniers célèbres]
XVIème Siècle
LUDOVIC SFORZA, duc de Milan, dit LUDOVIC LE MORE (1500-1508), Celui qui n'était pas content.
En 1500, le peuple de Milan, durement opprimé par un certain Trivulce, se révolte. Les Français assiègent la ville. Le duc Ludovic, qui a profité du soulèvement populaire pour reprendre le trône, tente de quitter Milan encerclé, en se cachant parmi des mercenaires suisses. L'un d'eux cependant le trahit et le vend aux assiégeants. Livré au général français La Trémoille, il est expédié comme prisonnier en France et enfermé par le roi Louis XII au Martelet du Château de Loches (où il mourra après huit ans de captivité).
On visite encore aujourd'hui son appartement. Il en orna les murs de ses graffiti, les signant des termes "celui qui n'est pas contan" (sic).
Il avait été le mécène de Léonard de Vinci et de Bramante, entre autres artistes et savants.
Lien: www.37-online.net/chateaux/loches.html
On comprend son mécontentement, pauvre homme. Pourtant ce genre de prisonnier avait bien des consolations. Il aurait pu lire par exemple les Pensées de Marc-Aurèle (VI, 48) "Rien ne rend plus content que les images des vertus apparaissant dans les caractères de nos compagnons de vie". Après tout, Ludovic le More n'était pas totalement isolé ou tournant en rond avec d'autres prisonniers mécontents comme lui. L'empereur stoïcien avait écrit auparavant "Si tu veux éprouver de la joie, songe aux mérites de ceux qui vivent avec toi, à l'activité de l'un, à la conscience d'un autre, à la générosité d'un troisième ou à telle autre qualité."
XIXème Siècle
Louis GARNERAY, compagnon de SURCOUF, peintre du Grand Amiral de France (1783-1857)
Ce parisien venait d'une famille de peintres, les GARNEREY. Il changea l'orthographe de son nom et devint GARNERAY. Il s'engage à 13 ans dans la marine grâce à la recommandation d'un oncle capitaine. Il va vivre une vraie vie de marin jusqu'à sa capture par les Anglais. En 1806, ceux-ci le débarquent sur les pontons en rade de Portsmouth. Il y restera 8 ans (jusqu'à sa libération par la fin de la guerre) jusqu'en 1814.
Son livre "Mes Pontons" (ou Un Corsaire au Bagne) est fameux, tout comme ses autres livres et ses tableaux de marine.
Lien : Prisonniers des Pontons anglais pendant les Guerres napoléoniennes
XXème Siècle
Iakov DJOUGACHVILI, le fils de STALINE (1903-1944)
Dans une lettre clandestine datée du 12 septembre 1943, un officier belge prisonnier à Prenzlau (Oflag II-A) évoque l’arrivée de compatriotes venant du camp de représailles de Lübeck. Ils « n'apportent guère de nouvelles. Les représailles ne consistaient qu'en une nourriture un peu plus serrée, mais le moral y était excellent car ils étaient en contact avec des Français, des Yougoslaves et des Polonais. C'est aussi là que le fils de Staline, se trouvait au début. ». Au début de quoi ? Cette dernière phrase laisse entendre qu’il n’était plus à Lübeck en septembre 1943. A Lübeck, se trouvait aussi le fils de Léon BLUM
Né en 1903, Iakov (Iacha) DJOUGAVICHLI était le fils aîné de STALINE et de sa première femme, Ekaterina (Kato) SVANIDZE. Après la mort de la mère en 1907, STALINE ne s’entendit pas avec le fils. En raison de la très grande dureté de son père envers lui, Iakov aurait tenté plus tard de se suicider une première fois avec une arme à feu. Mais il survécut. STALINE déclara simplement : « Il ne peut même pas tirer droit. » Iakov servit toutefois dans l’Armée rouge où il fût lieutenant.
Pris par les Allemands en juillet 1941 en des circonstances qui n’ont pas été élucidées, il ne connut plus la liberté.
On veut bien écouter les "leçons de courage" que donnaient les vétérans de 40-45 aux jeunes dans les écoles des Rouges, rappelant qu'il faut être "prêt à défendre sa patrie ». Mais on constate en même temps qu’il y eut dans ces leçons peu d'allusions à l'Ukase 227 signé par Staline en août 1942 (*), qui interdisait à tout soldat soviétique de faire un pas en arrière. Tout soldat soviétique qui se rendait, et donc tout prisonnier soviétique, était considéré comme traître.
En juillet 1943, STALINE refusa avec logique d’échanger son fils contre le Maréchal PAULUS, le vaincu de Stalingrad capturé par les Rouges (A Friedrich PAULUS, HITLER avait aussi implicitement interdit de se rendre en le nommant Feld-Maréchal le 30 janvier 1942, ce qui n’empêcha pas sa défection ). STALINE aurait biaisé en déclarant : « Un lieutenant ne vaut pas un maréchal… ». Certes ! D’après d’autres, le Petit Père des Peuples aurait aussi affirmé : « Je n’ai pas de fils.» Il reste qu’en vertu de ses propres dispositions répressives contre les prisonniers russes considérés comme des traîtres et comme exposant leurs familles à des représailles, STALINE fit encore arrêter quelque temps la jeune femme de son fils.
Après Lübeck, Iakov fut envoyé à Sachsenhausen, ce qui n’était certainement pas un traitement de faveur. Un rapport officiel indiqua qu’en 1944, à Sachsenhausen, Iakov s’était suicidé en se jetant contre des barbelés électrifiés du camp. Les circonstances exactes de ce suicide sont également obscures, la thèse du suicide n’est cependant guère controversée.
Friedrich PAULUS (envoyé à Nuremberg par les Russes sous le pseudonyme de SATRAP) accepta en 1945 de témoigner au fameux procès des criminels de guerre nazis. Il fut, quant à lui, fut libéré en 1953, 2 ans avt les autres combattants allemands de Stalingrad. Il n’en obtint que le mépris de ses compatriotes et de ses soldats. Il mourut dans son lit en 1957 à 67 ans
D’après Milan Kundera, De l’insoutenable Légèreté de l’être, 1984 (Nesnesitelna lehkost byti, en tchèque, 1982), « Sur le plateau de cette balance qui monte pitoyablement, soulevé par l'infinie légèreté d'un monde devenu sans dimensions », un seul personnage osa ouvertement y jeter son corps pour empêcher cette ascension : le fils de Staline qui a donné sa vie « pour de la merde ». Le fils de Staline, Iakov Djougavichli (Iacha) était prisonnier dans un camp allemand avec des officiers anglais (à Sachsenhausen ? Vraiment ?) qui voulaient qu’il nettoye les latrines comme tout le monde. Ne supportant pas l'humiliation, et n'ayant pu obtenir audience du commandant du camp, il se suicida. Kundera : « Si le fils de Dieu (comprenons « le fils de Staline ») peut être jugé pour de la merde, l'existence humaine perd ses dimensions et devient d'une insoutenable légèreté. Alors le fils de Staline s'élance vers les barbelés électrifiés pour y jeter son corps comme sur le plateau d'une balance qui monte pitoyablement… »Cette interprétation de Kundera n’est pas établie. Il s’en faut.
(*) Que l’URSS n’ait pas adhéré à la Convention de Genève de 1929 au sujet des Prisonniers de Guerre fut un immense drame tant pour les Allemands que pour les Rouges. Le fait ne freina pas la frénésie d’Hitler, lorsqu’il se dressa par traîtrise contre l’URSS, exposant ainsi ses propres soldats à la vindicte certaine d’un ennemi sans scrupules. L’ukase stalinien d’août 1942 confirmait les abstentions de 1929 ; il coûta la vie à 13 500 soldats soviétiques, rien qu’à Stalingrad, et décréta la formation de "bataillons disciplinaires", envoyés en première ligne de front et surveillés à l'arrière par des sections du NKVD exécutant les ordres de fusillade avec zèle. Des centaines de milliers d'"ennemis du peuple" ne méritant alors plus que d'être exécutés, ou d’être envoyés purger leur peine dans les camps du Goulag dès leur retour dans l’obédience communiste... Les prisonniers russes « délivrés » à Parchim et ailleurs en contrepartie des prisonniers occidentaux « libérés » par les Soviets, n’étaient pas très enthousiastes à l’idée de rejoindre leurs anciens camarades. La fidélité à la patrie soviétique n’empêcha pas non plus les 50 000 "Hiwis" (Hilfswillige), auxiliaires volontaires d’aller se battre du côté allemand, de même que les "Vlassovtsy", du nom du général Vlassov, passés, dès 1941, avec armes et bagages du côté hitlérien, dans l'espoir de libérer la Russie du bolchevisme. Ajoutons les Cosaques, dont une partie, encore traumatisée par la "décosaquisation" des années 1930, n'hésita pas longtemps entre les deux camps en 1941-1942. Comment en vouloir aux Lettons, aux Polonais qui voudraient reléguer ou relèguent effectivement tel ou tel monument érigé aux inconditionnels de Staline plutôt qu’à la gloire de la Russie? On pense à d’autres statues trônant encore dans certaines autres capitales, à la Karlsplatz de Vienne par exemple. Se souvenir enfin que la victoire de l’Union soviétique n'appartînt pas qu'aux Russes. Des bataillons entiers de Kirghizes, de Kazakhs, des Tadjiks, maîtrisant encore très mal le russe, étaient envoyés stopper l'ennemi nazi sur le front de Stalingrad ; tout comme des Caucasiens, (Karatchaïs, Ingouches, Tchétchènes, Balkars) qui furent à leur retour "récompensés" par la déportation. Comment oublie-t-on enfin cette autre phrase de Staline : "Nos soldats ne défendent pas une ville vide", sans penser aux familles vivant sous des tapis de bombes, dans l'interdiction d'être évacuées de Stalingrad, la ville de Staline.?